Voilà bientôt soixante ans que Jean-Pierre Raynaud est apparu sur la scène artistique accomplissant une œuvre qui se décline à l’ordre exclusif de l’objet. On peut, à juste titre, dès lors s’interroger sur sa participation à cette série de dialogues que le Musée Marmottan Monet a décidé de mettre en place en confrontation avec l’œuvre du peintre de l’impressionnisme et des Nymphéas. On pourrait facilement gloser sur le fait que Jean Pierre Raynaud a suivi une formation d’horticulteur – et non de beaux-arts – et que la première œuvre qu’il a réalisée impliquait un pot de fleurs et un pot de peinture. Mais, au-delà de cette anecdote fondatrice, l’artiste n’a cessé de témoigner d’une posture qui en appelait à la force du geste. C’est une pareille force qui a conduit Claude Monet à ouvrir, en son temps, différentes voies nouvelles, enrichissant l’histoire de l’art de formulations prospectives.
Si, pour Jean Pierre Raynaud, cette invitation est plus de l’ordre de la rencontre que d’un dialogue, à proprement parler, c’est d’abord et avant tout que l’artiste veut éviter tout malentendu : le fait qu’il ne soit pas peintre ne l’interdit aucunement à aborder la question de la peinture. C’est ce qu’il a fait, explicitement, à plusieurs reprises au cours de sa carrière et à sa façon. Notamment en 2008, à la galerie Patrice Trigano, dans une exposition intitulée « RAYNAUD PEINTURE » mettant en jeu des pots aux couvercles simplement recouverts de couleur dans des volumes en plexiglas transparent. La peinture en amont, en quelque sorte. A cette occasion, pour le carton d’invitation, l’artiste avait rédigé un texte quasi manifeste qui éclairait sa réflexion par rapport à ce médium. Il y notait : « Le mot peinture est une œuvre en soi, je le revendique en tant qu’œuvre. Ici l’idée de peinture m’apparaît plus forte que la peinture elle-même. Je passe avant que celle-ci ne devienne de l’art, avant qu’elle ne devienne un chef-d’œuvre. » Tout est dit et instruit le choix qu’il a fait, dans le cadre de ce quatrième « dialogue inattendu », d’une Etude des Nymphéas de Monet, datée 1917-1919, c’est-à-dire d’une peinture à l’état d’un premier geste, d’une première pensée.
L’art de Jean Pierre Raynaud repose sur une esthétique qui s’apparente à une forme de minimalisme, porté par des projets dont il pourrait se suffire du seul commencement, tant c’est pour lui « l’instant parfait ». A ce propos, il revendique qu’il n’y a pas chez lui de style Raynaud mais une méthode : « prendre le risque de se trouver avec moins que moins ». C’est ce risque-là que l’artiste a choisi de prendre une fois de plus en réponse à l’invitation qui lui a été faite ici. Un risque à la hauteur de celui auquel il se confronte et dont il reconnaît avoir été toujours admiratif de la radicalité de son engagement par rapport à la peinture, plus particulièrement autour de son projet des Nymphéas.
Que Jean-Pierre Raynaud ait donc choisi de réactiver le concept de son « projet peinture » dans une nouvelle formulation, encore plus radicale, en accrochant une série de ses pots sur une surface dédiée, souligne la pertinence d’une posture qui réfute toute séduction. Un geste, un simple geste. Chez lui plus qu’un autre, l’expérience de l’art assure le regardeur de ne pas en sortir indemne, donc d’y gagner un supplément d’être. C’est à tout le moins ce qui fonde l’œuvre de Claude Monet dans son invention plastique et son invitation duelle à la réflexion et à l’émerveillement. Le projet des Nymphéas compte une histoire inédite qui va du creusement d’un bassin artificiel à la construction d’un immense atelier pour offrir à la peinture un illimité panoramique. Un lieu, voire un milieu qui lui soit propre. La proposition de Jean Pierre Raynaud relève ici d’une même volonté d’embrasser l’espace par l’idée de la peinture – la peinture, seule. Dialogue inattendu ? Rencontre ? Peu importe. Le fait est que la peinture est ici, tout à la fois prétexte et texte, sujet et objet. Pour le plaisir des yeux et de l’esprit.
L’engagement de l’artiste s’y manifeste de manière pleine et absolue, dans toutes les étapes de la construction de ce projet. Comme il en est chez lui de toute aventure de création. Qu’il décline en nombre et en couleurs des pots de fleurs, qu’il décide la construction puis la destruction de sa maison, qu’il entreprenne tout un travail autour des drapeaux nationaux ou qu’il se saisisse des pots de peinture, Jean Pierre Raynaud ne laisse jamais rien au hasard. Tout est toujours millimétré, jusqu’à la confection éditoriale de ses catalogues et de ses ouvrages. Ainsi de l’objet que vous tenez en main, pièce à part entière de cette exposition dont il acte le présent et assure la mémoire.
Phillipe Piguet, commissaire invité, historien et critique d’art
12 octobre 2021 au 10 avril 2022
Plein tarif : 12 euros
Tarif réduit 8,50 euros
Moins de 7 ans : gratuit