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  • Exposition

    Monet / Colombet

    Peindre comme la rivière

  • Il y a dans la vie d’un artiste des moments décisifs : Monet découvrant la peinture en plein air avec Boudin, Kandinsky devant une Meule de Monet, Rodin ébloui par les danseuses cambodgiennes. On sait aussi le pouvoir de certains lieux sur les créateurs, qu’il s’agisse de Sils-Maria pour Nietzsche, de la cabane norvégienne de Wittgenstein ou du fameux « poêle » de Descartes, théâtres d’expériences intérieures et de révélations.

    Du parcours de Vicky Colombet, de sa naissance parisienne à son travail entre Paris et New York, on ne peut se contenter de ne retenir que quelques étapes – mouvements féministes, l’atelier d’Henri Dimier, l’impor- tance de l’expressionnisme américain. Il faut élargir le plan et replacer ces jalons sur une scène plus vaste, celle du paysage. Le paysage est capital dans cette œuvre, et d’une façon aussi mystérieuse qu’évidente ; un tableau de Vicky Colombet ne représente pas une vue des Cévennes ou de la vallée de l’Hudson. On n’y reconnaît pas un champ d’avoine, des collines, un jardin, un rivage. Ici, c’est de l’eau, se dit pourtant le spectateur, des ondes à la sur- face de l’eau, là, c’est le vent, là encore la terre, des particules, un chaos, un plissement, le monde. On ne définira pas Vicky Colombet comme une pay- sagiste, quand bien même on a pu parler de « toiles-paysages » à son propos, mais il est sûr que tout part des lieux.

    Ceux de Monet sont célèbres, ils ont donné leurs titres aux tableaux : bateaux d’Argenteuil, rochers de Belle-Île, falaises de Pourville ou d’Étretat, confluent de la Creuse, vues d’Antibes, avant que l’identité du lieu ne disparaisse dans l’expérience ultime du bassin et de ses reflets. Pour sortir du lieu et de son identification, il a fallu d’abord le trouver, parfois même en expérimenter plusieurs.

    Si l’œuvre de Vicky Colombet s’inscrit à son tour dans un dépassement des lieux, sa force troublante est aussi d’en procéder. Certains lieux l’ont marquée de leur empreinte, telle l’Asie des voyages d’enfance. D’autres l’ont déçue, comme Barcelone, un rêve de lumière qui tourne court. L’artiste se déplace, cherche un endroit où s’installer, un atelier, le trouve enfin par hasard dans les Cévennes. Elle a quarante ans, la voici à Lasalle, dans une ancienne filature au bord d’une rivière, la Salindrenque, et soudain tout change. Le site est décisif. Non comme un réseau de motifs, tels que Monet les trouvait à Vétheuil ou à Giverny, mais comme la possibilité d’en finir avec les motifs et de les dissoudre dans le cours d’eau. L’artiste se sait « trop peintre » pour y plonger ses toiles (tentation furtive, vite abandonnée) mais l’idée s’impose, apaisante, évidente, de « peindre comme la rivière », de s’en remettre à elle en laissant les éléments s’y inscrire – le vent, l’eau, la terre – par le jeu du pinceau et des pigments.

    Après les Cévennes, ce sera New York et, plus encore que la ville, la campagne du comté de Columbia, cette vallée de l’Hudson qui a donné son nom à une école de paysagistes au XIXe siècle et dont Alfred Stieglitz a tra- duit les ciels en Equivalents. C’est là, dans l’atelier en bois aménagé dans une grange, avec un jardin où s’essayer à la permaculture, que peut se prolonger l’expérience cévenole : laisser les éléments s’inscrire dans les tableaux, peindre non pas l’eau, le ciel ou la neige, mais peindre avec eux, avec les traces des lapins, le vol des oiseaux, le passage des biches ou des renards, avec les événements de l’extérieur et les plis de la toile.

    Revenir aujourd’hui en France pour dialoguer avec Monet est à l’évidence un nouveau défi et la mise à l’épreuve d’un art de peindre. Vicky Colombet, qui décidait hier de s’en remettre à la rivière, choisit aujourd’hui de se référer à Monet et à l’un de ses tableaux emblématiques, Bras de Seine près de Giverny, soleil levant (p. 30) ; non pour le copier mais pour en laisser les couleurs, le format, la lumière s’inscrire sur ses toiles, y guider l’action erratique, secrète et concer- tée des pigments dans une série intitulée Du monde flottant. Flotter, laisser faire. Expérience contemplative et musicale qu’on dirait accompagnée par un de ces haïkus de Bashō qu’aime citer l’artiste : « Un vieil étang / Une grenouille saute / Des sons d’eau. » Ou cet autre, si bien fait pour Monet :  « Vent de la rivière / vêtu de pâle kaki / le soir à la fraîche. »

    Marianne Alphant, écrivain, philosophe et commissaire d’exposition

     

    EXPOSITION

    Du 14 octobre 2020 au 3 octobre 2021

    TARIFS

    Plein tarif : 12 euros
    Tarif réduit 8,50 euros
    Moins de 7 ans : gratuit